Lettre ouverte à Madame la Préfète

Expulser la Zone Libre, mais pourquoi ?

Madame la Préfète, les lois, les unes après les autres ont eu pour but de protéger les locataires, si ce n’est pour les squatteurs. Le mot fait frémir. Squatter semble violent, déviant, marginal, mais squatter n’est qu’occuper. Un mot plus doux : « occuper ». Pourtant loi et justice se retrouvent alors dans une harmonie totale pour déterminer que l’expulsion est nécessaire.

Occuper sans droit ni titre, et de manière non contractuelle, s’achève souvent par l’intervention de la force publique, suite à l’avis d’expulsion, mais pas toujours. Vous le savez, Madame la Préfète, puisque c’est vous qui avez les cartes en main pour décider ou non, de l’usage des forces de l’ordre. Ainsi, les huissiers sont passés récemment à Cenon à la Zone Libre anciennement résidence Ramadier pour déposer les avis d’expulsion.

Or, Madame, il ne peut en être ainsi. Alors que Bordeaux et la métropole hésitent toujours avec son passé esclavagiste, Bordeaux ville paisible, ville riche au cœur d’une région aquitaine aux nombreux attraits, Bordeaux a fait fortune par le travail de ces esclaves venus de loin, ils n’avaient rien demandé. Cette richesse a rejailli un temps sur toute la région, sur la métropole donc.

Eh bien, les revoilà, ces enfants, ces femmes, ces hommes qui viennent à notre porte pour cette fois nous demander de l’aide. Et force est de constater qu’ils en ont besoin, entre ceux et celles, enfants, femmes, hommes qui fuient des guerres, des conflits et la mort donc, entre ceux et celles, enfants, femmes, hommes qui fuient la faim, la misère et la mort donc, entre ceux et celles, enfants, femmes, hommes qui fuient des conditions sanitaires complexes, l’absence de travail et la mort donc. Ils viennent à nous pour s’intégrer, travailler, trouver un toit, éduquer leurs enfants, payer des impôts, s’insérer dans une société et donc participer à notre pays car notre pays fait encore rêver, encore un peu.

Madame la préfète ce n’est pas un squat que vous allez faire expulser par la grâce de votre autorité, c’est un lieu occupé, un lieu d’occupation. Certes un lieu occupé sans qu’aucune autorisation n’ait été demandée, mais c’est un lieu occupé puisque des familles y vivent, des familles y dorment, des familles y cuisinent, des familles y font lire leurs enfants, des familles y créent de l’entraide, des familles y découvrent les coutumes et les valeurs de notre pays.

Ce lieu n’est pas occupé par la force mais par la vie. Ici les familles s’occupent, s’activent à trouver des solutions pour accéder à un travail, à des papiers, pour nous ressembler, pour vous ressembler, pour devenir français. Et quel que soit leur culture, leur religion, leur couleur de peau, leur nationalité actuelle, ils sont occupés à s’intégrer.

Pouvons-nous, pouvez-vous dans ce cas, user de la force pour empêcher des personnes de vivre normalement ? Voilà à quoi s’occupent toutes ces personnes, voilà pourquoi elles occupent ce lieu. Pour vivre mieux, pour vivre tout simplement.

Ce lieu occupé, si occupé, n’attend pas la force, n’attend pas l’expulsion, mais attend de l’aide. Puisque vous avez l’autorité pour faire régner l’ordre, c’est l’ordre que vous pouvez offrir. Remettons donc les choses dans l’ordre, faisons ensemble, Madame la préfète, que chaque enfant, chaque femme, chaque homme puisse vivre sur le sol français, puisse participer à notre vie commune, puisse constituer un peuple uni.

De plus, qu’adviendra-t-il des personnes qui seraient expulsées, poussées dehors, de force ? C’est les mettre à la rue. Dans ce lieu à Cenon, il s’agit de familles qui ne posent aucun problème et ne cherchent, Madame la Préfète, que votre protection. Et justement c’est ce, à quoi en appellent les occupants de la Zone Libre et nombre d’associations qui les accompagnent depuis le mois de novembre.

Est-ce que ce lieu pose problème avec l’environnement ? Dans l’ensemble non, néanmoins quelques cas isolés de personnes ont pu gêner le voisinage, cependant pas la grande majeure partie des habitants. Dans ces conditions, pourquoi ne pas laisser toutes ces familles, occuper ce lieu, aider à un climat serein avec le voisinage, parfaire l’aménagement des infrastructures, car ce lieu occupé n’est plus un squat, comme vous le comprenez mais un domicile.

De plus, la taille du bâtiment vacant depuis peu avant l’occupation faite par les familles peut alimenter le fait que les propriétaires du lieu ne se sentent pas totalement lésés par leur présence. Vous vous rendez compte de la nécessité impérieuse pour ces familles de maintenir l’éducation, la santé de leurs enfants. Rester à domicile, à Cenon, ne peut que contribuer à cet accomplissement. Les familles présentes dans ce lieu, sont réellement en difficulté, personne ne peut dire le contraire et ce sont ces difficultés qui les ont contraintes à élire domicile à la Zone Libre, en toute bonne foi.

De plus, le fait de laisser les familles résider dans le domicile occupé, n’entraînera aucun risque grave à l’ordre public. Il ne vous est pas demandé de reloger tant de familles, dans un contexte déjà tendu sur la métropole, mais au contraire, en permettant à des familles de rester sur place, d’éviter de renforcer leur fragilisation, déjà grande. Que deviendront toutes ces familles et donc tous ces enfants, toutes ces femmes, tous ces hommes qui ont élu domicile à la Zone Libre, sinon ? Ces enfants, ces femmes, ces hommes n’attendent que votre protection, aussi veuillez ne pas procéder à l’expulsion de ce lieu de vie.

Le collectif Bienvenue, sous la plume de Patrice Luchet

© Photo Alban Dejong


🛑 Venez soutenir les habitants :

  • Mercredi 17 juin à 18h Place Pey Perland BORDEAUX
    Appel à rassemblement contre l’expulsion du squat de la Zone Libre de Cenon
  • Jeudi 18 juin à 18h Zone Libre (Tram A – Arret La Morlette)
    à l’occasion de l’assemblée générale hebdomadaire.

et Signez la pétition : http://chng.it/J7w2QmXK